L’une des premières fois que Guy Durosier a joué devant un grand public était le dimanche 6 février 1944. Cet événement a eu lieu à l’École de commerce Maurice Laroche, dont on célébrait le 5e anniversaire de la fondation. Animait musicalement cette célébration le Jazz des jeunes, ensemble fraîchement créé. Félix Guignard, le premier pianiste de cet orchestre mythique, m’a raconté: « Dans l’assistance, se trouvaient deux adolescents, impeccablement vêtus, assis l’un à côté de l'autre. Alors que nous étions en route pour une pause d’une vingtaine de minutes, le plus jeune, qui devait avoir entre onze et douze ans, court après René Saint Aude pour lui demander la permission d’utiliser sa clarinette pour interpréter quelques pièces. Le maestro accepte volontiers. »
Féfé de poursuivre : « À notre retour, son jeu splendide nous a laissés bouche bée. Au cours d’une courte conversation, parmi d’autres questions, nous lui avons demandé son nom, et il nous a dit " Guy Durosier ". Puis, nous lui avons tous serré la main pour le féliciter de son talent précoce. Tandis qu’il regagnait son siège, Saint Aude a fait la réflexion suivante: « Si le gouvernement octroyait une bourse d’études à l’étranger à ce gosse, il pourrait devenir un nouvel Occide Jeanty ». (Entrevue téléphonique de LCSJ avec Félix Guignard, 10 octobre 2004.)
À ce tournant, son indomptable passion pour la musique obnubile impitoyablement son esprit. Il fait alors des fugues de plus en plus fréquentes pour aller suivre les répétitions du Dynamique Jazz, dont le quartier général se trouve au 65 rue des Fronts-Forts, non loin de sa maison. Là, il s’attire l’admiration du maestro de ce groupe, le légendaire pianiste et violoniste Arthur Lyncée Duroseau et d’autres brillants musiciens tels que le saxophoniste Vianney Denerville et le pianiste Yves Lerebours. Ces deux derniers, avocats et professeurs de belles lettres, évoluaient alors respectivement au sein du Jazz des jeunes et des Gais troubadours.
Au cours des grandes vacances scolaires, le cornettiste Jules Vandal (1926 – 2018), ancien élève de l’immortel professeur Augustin Bruno à la Maison centrale des arts et métiers, monte à la rue Montalais un petit groupement d’occasion. À cause de sa passion pour l’ensemble Les Gais troubadours, il baptise le sien Les Jeunes troubadours. À part du fondateur, y font partie : Guy Durosier (chanteur, flûte à bec et tambour), Auguste Durosier (chanteur et maraca), Luc Vieux (tambour) et un autre jeune dont Vandal avait oublié le nom. Ce groupe n’a duré que l’espace d’un été.
Vandal, devenu par la suite exécutant de la Musique du Palais, m’a fait cet aveu: « Pour te parler franchement, à cette époque, j’étais déjà un viejo de la fanfare de la Centrale. Cependant, bien qu’il fût plus jeune que moi, Guy Durosier, me dépassait de mille coudées. Ce petit bonhomme était un phénomène musical. Par la suite, je n’ai jamais vu un musicien haïtien de la trempe de ce Guy Durosier… ». (Entrevue de LCSJ avec Jules Vandal, dimanche 24 septembre 2006.)
Extrait de "l’Itinéraire d'un artiste immortel par Louis Carl Saint-Jean.